Témoignage de James Lee Burke sur la Louisiane

“Les marais de Louisiane vont absorber le pétrole comme une éponge”

A 73 ans, James Lee Burke est souvent considéré comme le Faulkner ou le Steinbeck du roman policier. Ses histoires se déroulent en Louisiane, le pays où il vit…

C’est une terre de sacrifices, un pays magnifique au cœur d’un environnement terrible, dont la destruction est en cours depuis des dizaines d’années. L’industrialisation a érodé la côte, les compagnies pétrolières ont creusé des dizaines de milliers de kilomètres de canaux pour leurs installations, tuant nombre de végétaux en introduisant de l’eau salée dans l’eau douce des marais. Les arbres sont coupés, les eaux polluées, le pire urbanisme est à  l’œuvre. Lorsque la marée noire va atteindre la côte, les marais vont absorber le pétrole comme une éponge. C’est comme injecter de l’acide directement dans des veines…

La Louisiane est un Etat très pauvre, qui détient des records en illettrisme, mortalité infantile, taux de pollution et de corruption. Dans les années 80, Ronald Reagan a réduit drastiquement les aides fédérales, fermé des hôpitaux publics et des institutions psychiatriques, limité les crédits de la police et de la lutte contre la drogue, notamment le crack, dont l’invasion a fait exploser la criminalité au début des années 90…

Je suis allé pêcher récemment, dans un lieu magnifique, des eaux sombres bordées d’arbres. Au milieu, quelqu’un avait balancé des tonnes de déchets industriels, qui flottaient partout. J’ai passé une demi-douzaine de coups de téléphone à  toutes sortes d’autorités, personne ne voulait rien faire à  part me suggérer de porter plainte. Comme si en constatant que quelqu’un allume un incendie dans un parc national, les autorités chargées de la protection de ce parc envisageaient de porter plainte plutôt que d’agir !…

Lorsque j’étais étudiant, dans les campagnes, on n’entendait presque jamais parler anglais. Et dans les villes, les gens parlaient autant l’anglais que le français. Dans les années 50, pour forcer l’alphabétisation anglophone, les autorités ont interdit la pratique du français à  l’école, même dans les cours de récréation ! Alors ce langage s’est perdu, et la culture de la région s’est appauvrie…

L’histoire du Sud est faite de gens qui ont gagné de l’argent sur le dos des autres : les colons, les planteurs, aujourd’hui les compagnies pétrolières. Le racisme a été inculqué aux gens d’ici, on leur a appris à  avoir peur les uns des autres, c’est ainsi que les démagogues du monde entier s’assurent le pouvoir. ..

En 1988, Bush père a mené la campagne présidentielle la plus raciste que j’aie jamais vue… Bush junior a reproduit ce même modèle, en jouant sur la peur du terrorisme pour légitimer les guerres d’Irak et d’Afghanistan, qui sont de purs conflits néo-coloniaux pour protéger un empire pétro-chimique. Nous marchons dans les traces des Français et des Anglais lorsqu’ils étaient des puissances coloniales, et le fait de savoir aujourd’hui combien ces politiques ont été dramatiques n’arrêtent pas les Etats-Unis…

L’industrie du pétrole a fourni des emplois, même s’ils ont toujours été mal payés et si, de mon temps, dans les années 50, le syndicalisme était très fortement découragé. Mais le pétrole qui est extrait ici est en partie envoyé en Floride ou en Californie, qui ne veulent pas de forages offshore au large de leurs belles côtes ! La Louisiane est la poubelle de l’Amérique, son histoire est une tragédie. Pour moi, c’est comme être témoin chaque jour d’un crime dont je sais que, moi vivant, il ne sera pas puni.

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