C’est un goéland qui m’avait pris en affection quoi

Chaque fois qu’il me voyait arriver sur le Rouvelon là , pof, à  bord. Et puis il venait pêcher, il venait tirer les filets avec moi. Des fois le soir il venait les caler quand ça lui plaisait mais surtout le matin parce que le matin y avait du poisson. Alors je montais un poisson blanc une bogue : c’était pour lui ! Et il le savait. On partait comme ça et je lui parlais, je lui parlais, il me répondait. Alors, il se mettait à  côté de la roulette, là  – du guindeau qui tire le filet – et il regardait le fond, il regardait monter le poisson. Quand y en avait… il savait que c’était pour lui. Les rascasses, il les voulait pas, lui, ça pique ! Une bogue, une bogue ravel , un petit sévereau , il savait que je les lui donnerai. Alors, il m’en parlait déjà  ! Et puis il me marquait les gros aussi. Les gros, quand ils décollaient d’en-bas, lui, il les voyait. A 20 m sous l’eau, ils y voient ces oiseaux – même plus – et moi j’y vois pas.

Un jour, c’était l’époque des baudroies Té pof,

– « cha, cha, cha ‘ qu’il me dit.

Il me dit qu’il y en a un qui décolle du fond. Trente secondes après, il me dit :

– « cha, cha, cha ‘

alors je lui dis :

– « Mais tu me l’as déjà  dit ! ‘

Alors méchamment, il me dit :
– « cha, cha, cha, cha, cha, cha ‘.

Bien entendu il y en avait un sur la roue… et 10 m plus loin y en avait un autre de baudroie ! L’air de dire : « Moi, j’ai pas besoin de lunettes pour y voir au fond ! ‘ Mais les baudroies c’était pas pour lui, il le savait, il les touchait pas, il touchait pas le poisson, ni rien du tout. à‡a faisait plaisir et puis quand il en avait marre, qu’il avait bien mangé, tant des fois il restait, des fois il partait parce qu’il avait à  faire.

Un jour, j’ai resté… – je sais pas si j’étais malade – j’ai resté longtemps d’aller à  la mer, longtemps ça veut dire 2 mois, 3 mois… Et pof, quand j’arrive sur le Rouvelon, là … je pensais plus à  mon oiseau. Pof à  bord et puis pof, pof, pof, pof ! Quatre autour du bateau, des petits ! Ils risquaient pas de monter à  bord, ils avaient peur. Et lui, il leur parlait, c’était sa famille, il venait me présenter sa famille. Ils étaient quatre qu’ils sont pas encore blancs, ils ont le duvet marron. Ils voulaient un peu s’approcher, j’avais pas de poissons à  leur donner, ni rien du tout, mais ils voulaient un peu s’approcher du bateau mais on sentait une réticence. Lui il leur disait :

– « Mais non, c’est pas pareil que les autres, ça c’est un bonnard ! C’est un ami de la maison et vous risquez rien, vous pouvez rester ‘

Et puis, ils ont resté… parce que moi je faisais route ; doucement, doucement, j’allais au large. Au bout d’un moment, il me dit :

– « Maintenant tu as vu ma famille, je m’en vais ‘

et tout le monde est parti ! à‡a s’apprivoise facilement… Et tant qu’il était, y avait personne qui serait venu à  bord, il se faisait respecter. C’est le seul que j’ai eu comme ça, y en a qui venaient pas loin, qui me regardaient travailler mais ils venaient pas à  bord. à‡ui-là  il avait eu le culot une fois, et puis il était venu et on avait parlé comme ça. Y a un certain quelque chose dans la voix, une certaine intonation… On se comprend pas – je peux pas vous dire qu’il comprenait ce que j’ui disais mais ça se sent – Voilà . Il s’était mis en confiance avec moi. Tu as des intonations dans la voix que toi-même tu ne maîtrises pas… Quand tu parles à  un chien, à  un cheval, c’est pareil.

Clairin Deïnès, ancien pêcheur du Brusc

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