Surpêché ou épuisé ? Petits mots, grands effets !

Menakhem Ben-Yami à  Lorient en Novembre 2010 Photo Alain Le Sann

Menakhem Ben-Yami à  Lorient en Novembre 2010 Photo Alain Le Sann

En Avril 2014, dans sa chronique de World Fishing, le scientifique israélien, Menakhem BenYami, un dissident de la science halieutique dominante se félicite de la bataille qui se déroule au Congrès des Etats-Unis sur le changement d’un mot dans le Magnuson Act, qui définit la politique de gestion des pêches du pays. Un parlementaire veut remplacer «overfished ‘ (surpêché) par « depleted ‘ (épuisé, réduit). Derrière la bataille des mots se joue en fait la révision de l’approche scientifique et politique de la gestion des pêches. L’utilisation du terme surpêché pour qualifier un stock en mauvais état induit une explication unique et la responsabilité des pêcheurs dans la situation. Elle implique donc des mesures de contraintes seulement pour les pêcheurs. Mais dans les faits, un stock en mauvais état peut être lié à  des modifications environnementales, une variabilité naturelle, un accroissement de la prédation naturelle, une pollution. Il ne s’agit pas de nier la surpêche mais de rechercher la multiplicité des causes possibles, ce qui implique des mesures bien plus complexes qui ne concernent plus seulement les pêcheurs.

Au-delà  de la gestion d’un stock particulier avec les approches classiques de RMD, de Tac et Quotas par espèces, il faut engager une approche scientifique de l’écosystème beaucoup plus complexe et prendre en compte les incertitudes, la variabilité naturelle dans le temps et l’espace, le rôle des éléments extérieurs à  la pêche, celui du climat, etc Pour Menakhem Ben-Yami, qui plaide depuis longtemps pour une révision radicale des approches classiques de gestion fondées sur les modèles mathématiques, aussi bien aux Etats-Unis (à  la NOAA) qu’en Europe, au CIEM, les scientifiques ont pris conscience de la nécessité de modifier leurs approches. La politique de gestion basée sur la seule estimation de la mortalité par pêche mène à  des impasses. Les ONGE ont concentré leurs critiques sur la surpêche et les responsabilités des pêcheurs, en minimisant les autres facteurs, pour imposer leur pouvoir, avec l’appui de Jane Lubchenco (issue d’une ONGE ultra-libérale, Environmental Defense Fund). Elles vont devoir changer de discours, si elles veulent continuer à  prétendre s’appuyer sur les analyses des scientifiques. Menahkem Ben-Yami cite un récent rapport de la NOAA qui présente les principaux facteurs affectant l’habitat, dans l’ordre suivant.

  1. Pollution et qualité des eaux.

  2. Modification et dégradation des fleuves et routes migratoires.

  3. Fragmentation et pertes des habitats estuariens et des eaux peu profondes.

  4. Impact de la pêche sur les habitats.

  5. Variabilité et changement climatique.

  6. Espèces invasives et déchets en mer

  7. Le bruit et le trafic maritime.

Pour la NOAA, l’approche écosystémique et environnementale va donc bien au-delà  de la pêche. Dans cette approche, les pêcheurs peuvent jouer un rôle positif de sentinelles de la mer pour surveiller au jour le jour l’évolution du milieu, en lien avec les scientifiques. Les ONGE peuvent jouer un rôle d’alerte sans prétendre mettre les pêcheurs sous leur tutelle.

 Alain Le Sann – Mai 2014

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