Festival « Pêcheurs du monde » 2017 : un monde relationnel en lutte contre le productivisme

    Pecheurs-Monde-83 Nouveau bouquet de films pour cette neuvième édition du Festival cinématographique « Pêcheurs du monde » à  Lorient, avec son lot de marées, d’embarquements historiques et actuels, et ses témoignages poignants d’êtres étranges qui prennent racines dans les eaux mouvantes. Nous autres terriens, aurions-nous oublier que la planète bleue est couverte à  71% d’eau marine ? Qui donc que les marins serait plus légitime à  y vivre ? Et pourtant, de toutes les mers du globe s’élèvent des voix désemparées :

Corexit, le remède maudit. Dans le Golfe du Mexique, c’est BP qui a déversé massivement un dispersant très toxique pour agglomérer et faire couler la masse de pétrole immense qui s’échappait d’une plateforme en feu… au mépris des écosystèmes et de la population locale qui contracte depuis cette date fatidique d’avril 2010 des maladies graves et difficiles à  soigner. Dans une région sous perfusion pétrolière, chacun se tait, à  commencer par le corps médical qui préserve ses emplois. Las, cette univers mirifique de marais prolifiques, véritables nurseries pour l’océan adjacent, s’enfonce peu à  peu sous l’eau. Les percées réalisées pour la recherche pétrolifère ont déstabilisé ces terres fragiles face à  l’élévation minime du niveau de l’eau.

Floating life. En Inde, c’est la population du lac Loktak, un lac immense de l’Etat de Manipur, qui se trouve accusée de tous les maux. Ces pêcheurs « phumdis » qui vivent depuis des siècles dans des huttes construites sur des îles flottantes se voient expulsés, leurs habitats violemment détruits par une énorme pelleteuse sous l’œil de milices armées, quand ce n’est pas le feu qui dévore ces merveilles d’architecture légère. Victimes désignées de combats politiques et d’intérêts économiques qui les dépassent, ces communautés cherchent à  survivre, avec leurs modes de vie ancestraux. Conscients que les décharges municipales et les activités industrielles et agricoles voisines défient les lois du milieu naturel, celles qu’ils ont, par transmission et par observation, appris à  connaître, ces peuples luttent jour après jour. La violence qui s’acharne sur leurs familles et leurs villages est telle que les femmes sont prêtes à  défendre de leur vie l’avenir de leurs enfants…

Concentré en quelques mains, le capital n’a cure de ces vies, quelquefois asservies. Tels en témoignent ces anciens de la pêche à  la morue sur les bancs de Terre-Neuve, dont ils reconnaissent que c’était une vie de bagnard, et pourtant heureux de l’avoir traversée collectivement. En réponse à  une question, l’un d’entre eux admet pudiquement que ces patrons n’étaient pas « partageurs ». Mémoire de brume.

Pour ces mêmes raisons financières, des marins bretons et malgaches seront, en 1930, « oubliés » sur l’île Saint Paul, à  8 jours de navigation de La Réunion, en plein Océan Indien. Pêcheurs de langoustes, ils avaient fini la saison et confectionné parmi les meilleures conserves qui soient. Chargés de protéger les lieux des intempéries, sept d’entre eux acceptèrent de rester trois mois. Ce n’est que neuf mois plus tard, le temps d’effectuer une pêche plus rentable aux Seychelles, qu’un bateau viendra rechercher les rescapés du scorbut. Dès le départ, l’armement avait réduit l’équipage de manière à  faire l’économie d’un médecin. Un deuxième départ provoquera de nouvelles morts causées par le béribéri. Ces marins ne connaissaient pas ces maladies engendrées par des carences alimentaires. Faut-il ajouter que la guerre sauvera les coupables d’une quelconque sanction judiciaire ? Les oubliés de Saint-Paul.

Par delà  ces situations injustes, exaspérantes, insupportables parfois, nous sommes frappés par la chaleur des témoignages et l’humanité de ces gens, prêts à  donner leur vie plutôt que perdre le respect de ce qu’ils sont. La cruauté des systèmes qui pourraient les broyer ne semble pas les avilir.

Des lois et des hommes. Un autre film a marqué nos mémoires, profondément. C’est une véritable épopée d’un pêcheur artisan, d’une petite île irlandaise, qui se voit retirer peu à  peu, comme ses congénères, ses droits de pêche. Fraîchement entré dans l’Union Européenne, ce pays joue la carte du bon élève, préférant sacrifier ses pêcheurs artisans, leurs communautés et leurs cultures, plutôt que de risquer des amendes pour protection insuffisante du saumon, objet d’un fort lobbying européen de la pêche de loisir. Par ailleurs, cette contrée lointaine est choisie comme zone de protection du cabillaud et représente in fine une aire naturelle à  valoriser en tant que telle. Assisté du réalisateur qui va le suivre huit années durant et secondé du prêtre du lieu qui rédigera bon nombre de courriers, ce pêcheur discret, et plus rodé à  une vie îlienne frugale et partagée qu’aux mouvements calculés de stratèges politiques, va rencontrer les pêcheurs d’autres îles, les députés de son pays, des ONG liées à  la pêche artisanale et à  l’environnement jusqu’à  la commissaire européenne à  la pêche. Jour après jour, saison après saison, il va, par sa présence modeste et ses quelques mots tirés de son expérience séculaire, aboutir à  l’adoption d’un amendement dans la réforme de la pêche de 2012 qui donnera un droit prioritaire aux communautés iliennes de pêcheurs. Un long combat citoyen pour faire valoir des droits historiques et une gestion expérientielle de la ressource locale. Probablement, la marée la plus longue et la plus laborieuse qu’il n’ait jamais eu à  vivre, poussé par ses fils qui le remplaçaient à  la pêche chaque fois qu’il devait s’absenter.

Immergés dans un réseau de relations étroites avec leur milieu naturel, leurs familles, leurs communautés, ces pêcheurs artisans défient, par là -même, le productivisme dont seul le capital structure et déstructure constamment les jeux de relations aux seuls fins d’accumulation des capitaux et des profits. Longtemps restés aux marges de ces jeux financiers, ces pêcheurs artisans ont préservé leurs valeurs et leurs modes de vie. Le capital, aujourd’hui, tend à  s’accaparer des mers et des océans. L’environnement a bon dos quand il sert à  justifier la privatisation des droits de pêche, la création de grandes réserves marines ou l’instauration de plateformes internationales dégagées de contrôles étatiques ; le principal objectif n’est autre que de libérer l’espace des pêcheurs artisans pour le dédier plus lucrativement à  l’industrie touristique, minière, énergétique ou encore au commerce de droits à  polluer.

Il y eut encore d’autres films, d’autres personnages vivants et touchants, de Méditerranée, de Colombie, du Sri Lanka, de la Nouvelle Angleterre, du Vietnam… Un conte qui se voulait réparateur, une recomposition de morceaux de films tournés par les pêcheurs eux-mêmes pour partager, avec leurs proches, la vie à  bord, une création dont la froide esthétique et les bruits mécaniques dénonçaient la déshumanisation et l’absence totale de musique et de respiration légère… Impossible de tout voir tant le choix était vaste. Le monde de la pêche reste celui de notre planète bleue, nous n’en sommes que les invité(e)s, et le monde relationnel qui le caractérise préfigure le berceau et l’avenir de notre humanité, tel est le message de ce festival qui lui rend hommage.

Films primés par les jurys du festival : BILAN DU FESTIVAL PECHEURS DU MONDE

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Photos du Festival par Philippe Houssin ©

Décor d’espèces planctoniques en verre, par William Geffroy, artiste verrier
suivi des photos du jury et de la salle.

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